(Voici la vérité sur ses nombreuses consultations)
Au Bénin, l’ancien président Boni Yayi est de nouveau sur le devant de la scène politique, mais cette fois sous un autre angle. Depuis quelques mois, il multiplie les visites aux anciens présidents d’institutions de la République. La dernière en date, le dimanche 29 juin 2025, l’a conduit chez Me Adrien Houngbédji, ancien président de l’Assemblée nationale et jusque-là considéré comme un allié du camp présidentiel mais qui gronde depuis quelques temps. Officiellement, il s’agissait de présentations de vœux. Mais à mesure que les visites s’enchaînent, les intentions réelles de l’ancien président du Parlement se précisent, dévoilant une entreprise politique bien plus complexe qu’un simple exercice de courtoisie institutionnelle. Détails…
L’ancien président de l’Assemblée nationale tente d’amorcer ce qu’il qualifie de démarche de réconciliation nationale, en sollicitant l’adhésion d’anciens présidents d’institutions, dans une sorte de plateforme d’influence à destination de Patrice Talon, président de la République. Mais la communication médiatique orchestrée autour de chaque visite, avec photos publiées dans une mise en scène quasi-systématique, trahit une volonté de manipuler l’opinion, de fabriquer du symbolisme là où il n’y a que stratégie électorale. Boni Yayi n’est pas en train de tenter de rallier des anciens présidents d’institutions ou de partis politiques à sa cause pour former un quelconque bloc contre Patrice Talon en 2026. D’après nos informations, les discussions ne portent même pas sur une éventuelle alliance en vue de gagner les élections.
Boni Yayi n’a jamais caché son intention de jouer un rôle politique central en amont des prochaines échéances électorales. Ce que cache mal sa tournée, c’est un projet de lobbying politique, avec deux objectifs non avoués, mais désormais clairs pour tous : obtenir une révision du Code électoral en vue de favoriser certains partis politiques à faible influence ; et faire pression pour favoriser également la libération de certains acteurs politiques condamnés par la justice pour des infractions de droit commun. Sur ces deux points, la méthode pose problème : il ne s’agit ni de débats institutionnels, ni de négociations franches avec les autorités légitimes. Mais plutôt d’un démarchage de salons, sur fond de nostalgie d’un pouvoir perdu, en espérant créer une pression d’opinion.
Une entreprise politiquement vaine
Boni Yayi fait face à un paradoxe : on ne peut prêcher la réconciliation tout en alimentant la confusion dans l’opinion. Sa démarche souffre de trois contradictions majeures. Il est juge et partie : président d’un parti d’opposition radicale, il ne peut se présenter comme médiateur objectif. Car toute la contradiction est là : comment être à la fois l’instigateur d’un dialogue apaisé et le principal opposant au régime en place ? L’exercice est périlleux et expose l’ancien président à un dilemme stratégique : être juge et partie dans une négociation qu’il prétend neutre. Il n’est plus détenteur d’aucune légitimité institutionnelle : les décisions en matière de réformes électorales ou de grâce présidentielle relèvent du Gouvernement et du Parlement, non d’un ancien chef d’État. Il se heurte à la solidité institutionnelle du régime actuel : les institutions tiennent, les réformes sont consolidées, et les processus judiciaires sont encadrés par le droit, non l’émotion.
Une posture doublement risquée
Loin de faire l’unanimité, cette posture ambivalente a suscité des réserves, voire des crispations, selon nos sources. Peut-on réellement bâtir un consensus autour d’un homme encore engagé dans la conquête du pouvoir ? Car, rappelons-le, Boni Yayi reste le président du parti Les Démocrates et le chef de file de l’opposition. Sa démarche, si elle est sincère, aurait davantage gagné en crédibilité si elle avait été portée par un acteur véritablement en retrait de la scène politique active. Des indiscrétions révèlent d’ailleurs que certains anciens présidents d’institutions se montrent prudents, voire réticents, face à ce rôle que Yayi entend endosser. En toile de fond : la crainte que la démarche soit un simple habillage diplomatique d’un projet politique personnel, à l’approche de l’échéance électorale de 2026.
Une initiative qui manque de méthode
Si la démarche de Boni Yayi part d’une bonne intention en apparence celle de restaurer un dialogue national elle souffre d’un manque de méthode et de légitimité. Une réconciliation nationale suppose neutralité, humilité, et surtout désintéressement politique, ce que l’ancien président, par sa posture actuelle, peine à garantir.
Le risque est réel : en voulant forcer le dialogue sur la place publique et dans une ambiance électoraliste, on fragilise davantage le climat politique, on brouille les lignes de communication, et on compromet les chances d’un vrai consensus. Boni Yayi, en multipliant les gestes d’ouverture, veut apparaître comme un homme d’unité. Mais son implication active dans les dynamiques partisanes réduit la portée de son initiative. Si réconciliation il doit y avoir, elle devra passer par des figures consensuelles, détachées des calculs électoraux. Et ces figures, on les connait au Bénin. Pour l’heure, la démarche de Yayi semble plus stratégique que véritablement réconciliatrice.
Les Béninois attendent aujourd’hui un débat démocratique sérieux, et non des mises en scène improvisées aux allures de campagne masquée. La tournée de Boni Yayi ne construit rien. Elle fragilise davantage son image de faiseur de paix. L’opinion publique a mûri. Le peuple sait désormais lire entre les lignes. S’il souhaite encore peser dans la vie politique, l’ancien président devra choisir entre la clarté de l’engagement partisan ou le recul du sage. Les deux sont incompatibles. Et le temps du double jeu semble révolu.
Abdourhamane Touré