Camille Sèwonmian Gantèzounnon, alias Limac Jouvet, est l’un des rares artistes du département du Zou qui fait aujourd’hui la fierté des mélomanes. Indétrônable dans le Tchink système, un rythme tiré du Tchingounmin de la région Mahi, au centre du Bénin, l’artiste se laisse découvrir un peu plus par le public béninois à travers la célébration, cette semaine, des dix ans de sa carrière musicale bien remplie qui continue d’écrire les pages son histoire.
Artiste atypique, Limac Jouvet en est bien un. Enfant unique de Philomène Anonkogoun, sa mère, Camille Sèwonmian Gantèzounnon a un destin tout aussi particulier que résume son nom d’artiste, « Limac Jouvet ». Ce n’est donc pas un pseudonyme choisi au pifomètre. En effet, Limac signifie littéralement ‘’Limakou nou gléssi houéwou houéwou’’. Autrement dit, le cultivateur, après un dur labeur, ne peut perdre sa récolte chaque année. Maintenant, c’est la bonne saison. « C’est une révélation du Fâ faite par le devin à mes parents qui avaient le souci de conception. Plusieurs années de vie conjugale sans le moindre enfant. Après avoir enregistré six cas de fausses couches, le prêtre du Fâ leur a annoncé la bonne nouvelle. L’heure est venue pour accueillir un enfant qui, cette fois-ci, va survivre», conte l’artiste. La prophétie s’est alors réalisée et Camille fut né le 06 juin 1988. La joie et l’espoir qui s’estompaient, renaissent donc dans la famille. Pour établir le lien entre son passé et son avenir, Camille Gantèzounnon a ajouté à Limac, Jouvet qui est le nom du célèbre comédien français. En somme, issu d’une famille modeste, l’enfant Gantèzounnon rêve de devenir une star mondiale pour prouver à sa très chère maman qu’un seul enfant peut valoir dix. Et comme son destin doit s’accomplir, Camille va rencontrer sur son chemin, l’artiste ‘’Dagbé do Gbèssi » de Tindji Kpozoun. C’était en 1999. A douze ans, il a milité dans son groupe folklorique Tchingounmin. Il avait déjà quelques prédispositions à la chose artistique. ‘’Gbèdan’’ était le titre de la sa première composition qu’il a fredonnée le jour où sa mère lui a révélé, la mort dans l’âme, les circonstances dans lesquelles la providence a voulu qu’il soit son enfant unique. A l’époque, il était au Cm2. Sept ans durant, il a fait ses premières armes aux côtés de son « maître» pour se faire un nom. A l’école du Tchingounmin de ‘’Gbéssi’’, il a appris à tenir le micro sur scène, à être percussionniste, instrumentiste et auteur, compositeur. En classe de 5ème des collèges, l’art a pris le pas sur ses études. «A vrai dire, je n’apprenais plus. Je me consacrais plus aux activités artistiques», reconnaît Limac Jouvet, la prunelle de la famille Gantèzounnon. Une option mal accueillie par ses parents. «Ils veulent que je sois un cadre de l’administration parce que je suis leur seul espoir. Malheureusement, chasser le naturel, il revient au galop. Ils m’ont infligé toutes sortes de châtiments croyant éteindre en moi ma passion artistique, mais elle est restée toujours active», se souvient-il. A la mort de son père, son oncle Théophile Gantèssinnon le récupère. En complicité avec les enseignants, il a pu maintenir son filleul à l’école jusqu’en classe de terminale. Enseignant de formation, informaticien, percussionniste, chanteur, auteur, compositeur, chef de culte Thron, Limac Jouvet fait aujourd’hui la fierté de toute sa famille dont il a le soutien.
Un palmarès léger mais admiratif
Au terme de quinze ans de formation chez son mentor, Camille Gantèzounnon a peaufiné son talent artistique et s’est affranchi. Par ses prestations , il a conquis un nouveau public qui s’élargit de jour en jour. Sa voix envoûtante ne laisse personne indifférent quand il se met en ‘’transe ». Féru du Tchink système, le phénoménal de Manaboè puise son inspiration des faits vécus ou non de la société, des connaissances endogènes et livresques puis des saintes écritures pour éduquer, sensibiliser et transformer sa communauté. Fécond en inspiration spontanée, Limac Jouvet a, à son actif, une dizaine d’albums. Son premier opus intitulé ‘’Gbèdan’’ est mis sur le marché discographique en 2014. Deux ans plus tard, il confirme son talent avec « Mon espoir », son second chef d’œuvre. En 2017, il le certifie par « Ma culture » puis « mon destin », « Dagbé », « Merci mon père », « Houétchéhoun », « Esprit », «Sèzo Matchi » en 2021 et « Ma grâce », le dernier-né. Il a participé à plusieurs festivals et événements culturels d’envergure. On peut citer entre autre le Fescu Jv, le Fejem, le festival international Zogben, la 2ème édition du festival ‘’Houawé Djotin’’, la Conavab niveau départemental, le festival d’Ahouamè, le Férymuz. Ses efforts et son engagement à promouvoir le Tchink système sont souvent couronnés de succès. Des distinctions et trophées, il en a reçu plusieurs qui ornent son salon. Monsieur Soukoukouinin !, comme l’appelle affectueusement certains, a pu se hisser au firmament de la musique béninoise, grâce aux soutiens physiques, moraux et financiers des uns et des autres notamment du Hounnongan Toï Mètoï Kpowounmè, son père spirituel, de Carlos Avaligbé, Casias Adoko, Noëlie Ahodégnon dit maman Amour à qui il adresse ses sentiments de reconnaissance. Il fait aussi un clin d’œil au maire de Cotonou, Luc Atrokpo, son parrain politique, puis à son manager Clément Gantèssinnon pour tous leurs sacrifices consentis. Il n’oublie pas ses fans qui le portent et l’encouragent à maintenir le flambeau toujours allumé. «Je vous dis tous merci ».
La musique, c’est la mort
Si la musique peut maintenir la vie, il n’en demeure pas moins qu’elle peut aussi l’arracher. Elle est une porte ouverte sur tous les vices notamment celui de la femme. Elle attire la haine, l’envoûtement, les coups bas etc. «Si vous êtes un artiste, les femmes, tel un essaim d’abeilles, vous envahissent. Si vous mordez à leur appât, bonjour les dégâts », confesse l’artiste. Pour lui, il faut s’en méfier, enterrer l’égoïsme et cultiver l’humilité, le respect, l’amour, l’entraide, la maîtrise de soi, car le défaut de ces vertus contribue également à l’échec des artistes. Conséquence, beaucoup meurent dans la précarité. A cela s’ajoute la mauvaise organisation. Pour que cela ne soit plus ainsi, Limac Jouvet propose. «Même si nous nous accordons que la musique peut nourrir son homme, ce n’est pas une raison pour se consacrer uniquement qu’à elle. Il faut mener d’autres activités» , prodigue-t-il. Ce qui permet de se produire sans le soutien de quiconque. «Aujourd’hui, le sponsoring se faire de plus en plus rare», fait observer Camille Gantèzounnon. Néanmoins ,cela ne dédouanement pas l’Etat par rapport à son devoir vis-à-vis des auteurs des œuvres de l’esprit. «Dans les autres pays de la sous-région, l’Etat appuie les artistes. Au Bénin, tel n’est pas le cas », regrette-t-il. A en croire ses propos, sans l’aide des pouvoirs publics, l’artiste peut émerger, mais difficilement. Alors, il plaide pour que des subventions ou des fonds soient mises en place pour les accompagner. Toutefois, il a reconnu l’effort du Gouvernement actuel à travers les réformes qui s’opèrent au niveau du Bubédra. «Les artistes qui ont adhéré au Bubédra ne regrettent pas de s’être formalisés. Trimestriellement, ils perçoivent leurs ristournes par transfert monétaire. Je souhaiterais non seulement que le paiement soit mensuel, mais qu’il soit aussi revu à la hausse», suggère Limac Jouvet.
La conquête du continent noir, le prochain défi
Après avoir dompté le public béninois avec son Tchink système personnalisé, il pense maintenant l’exporter. «Ma vision est de faire la promotion de cet rythme au-delà des frontières nationales», annonce-t-il. Il compte avoir son orchestre, organiser un festival au profit de ceux qui font le Tchink, un mélange de rythme traditionnel et moderne. «N’importe qui ne s’aventure pas sur le terrain de Tchink système s’il n’a pas la compétence technique et le timbre vocal », fait remarquer Limac Jouvet. C’est le rythme le plus complexe qui exige qu’on adapte à chaque chanson la mélodie appropriée qui convient. «Je ne parle pas du Tchink programmé passe-partout». Il y apporte sa touche particulière qui le différencie des autres. Il a fait ce choix depuis une dizaine d’années parce qu’il se sent capable. Le 24 prochain, il va célébrer en différé, les noces d’étain de sa carrière musicale qui devrait avoir normalement lieu hier. Au menu de cette célébration, des conférences, des dons aux indigènes de distribution de maillot aux conducteurs de taxi-moto. L’apothéose, c’est le géant concert du 24 février qui aura lieu à Bohicon. «Nous allons enflammer la scène avec de la bonne ambiance. Détendre l’atmosphère de la morosité économique. Les absents n’auront pas d’arguments», promet-t-il. L’accès au lieu du spectacle est subordonné au paiement de son billet d’entrée déjà en vente. Traditionnaliste, Limac Jouvet est serviable. « Tout le monde peut m’inviter. Le prix est à la tête du client. Il se définit en fonction de la nature et du lieu de l’évènement » indique-t-il.
Zéphirin Toasségnitché
(Br Zou-Collines)