La réforme structurelle de la décentralisation au Bénin a de beaux jours devant lui. C’est du moins l’avis de l’acteur politique et expert en gouvernance locale, Gildas Oloushègun Sènamèdé Aïzannon. Pour lui, quoique la réforme ait bousculées les pratiques précédemment en vogue au niveau de la gouvernance locale, force est de constater qu’elle fait bouger les lignes au grand bonheur des populations à la base. Lire ses analyses.
Le Matinal : Quel bilan peut-on faire de la réforme selon vous? Avez-vous le sentiment que les Communes et municipalités sont mieux gérées ?
Gildas Aïzannon : Se hasarder à faire une évaluation sérieuse des mutations opérées dans notre système de décentralisation après seulement un an, est, ma foi, précoce ! Néanmoins, je peux, a priori et de façon factuelle, soutenir que les Communes béninoises ont gagné en technicité et en efficacité. On pouvait, à raison, redouter des frictions dans la collaboration entre maires et Se mais je trouve globalement que l’attelage fonctionne et que l’intérêt général a pris le pas sur les visées individuelles égoïstes qui amenaient les détenteurs du pouvoir local à tordre le coup aux procédures. De loin, j’ai le sentiment que la peur du gendarme a discipliné les acteurs locaux. Je dis de loin parce que pour apprécier objectivement la qualité de la gouvernance, il faudra examiner de près certains critères de performance.
Un an après sa mise en œuvre, la réforme a-t-elle véritablement fait bouger les lignes au niveau des Communes ?
Pour voir si les lignes ont bougé, il faut justement analyser les critères de performance que j’évoquais tantôt : Quel est l’état de la mobilisation des ressources financières surtout propres depuis l’avènement des Se qui se savent attendus sur ce chantier ? Les stratégies déployées ont-elles permis de mobiliser plus d’argent pour nourrir les ambitions d’investissement contenues dans les plans de développement ? Pour moi, un Se qui n’a pas réussi à améliorer de 20% au moins les recettes propres devrait craindre pour son poste! C’est un indicateur fondamental car sans argent on ne peut donner satisfaction aux besoins des populations. Ensuite, il faut voir si les procédures administratives et comptables sont mieux respectées que par le passé. J’ai tendance à répondre par l’affirmative car les uns et les autres se savent contrôlés que par le passé. Le comité de supervision et de façon globale les conseillers communaux sont plus exigeants. Vous noterez avec moi que les dénonciations de fraudes dans la passation des marchés, les accusations de gestion » opaque et cavalière » ont presque disparu comme par enchantement. Les menaces de destitution des maires ne font plus recettes car l’objet de la convoitise semble mieux sécurisé. Il faut y voir un signe de progrès. Je ne dis pas que tout fonctionne à merveille. Des plaintes nous parviennent sur les compétences limitées de certains Se et autres agents nouvellement recrutés et qui n’ont pas des expériences pratiques de gestion des grandes organisations comme les Communes. Ailleurs, il se dit que ce sont des agents mieux outillés mais à des postes secondaires qui leur sauvent la mise le temps de se former sur les exigences de la gestion locale. Il faut aussi voir le taux d’exécution des marchés publics, la qualité des travaux et même le taux de transfert des ressources par l’Etat central. On ne peut demander aux Communes de faire le miracle même dans un environnement de réformes si l’État lui-même traîne les pas au sujet des ressources à transférer. On pourrait avoir une meilleure vue bientôt à partir de juin avec l’examen des comptes administratifs de nos Communes mais globalement, je trouve que notre décentralisation renoue avec l’efficacité et l’instinct de prédation que je dénonce dans mes travaux depuis 2011 commence par diminuer. Il faut rester vigilant pour que les acteurs ne développent d’autres stratagèmes pour siphonner les ressources publiques et mettre en péril la volonté du gouvernement Talon d’obtenir plus de résultats probants au niveau local.
D’aucuns estiment que les populations ne perçoivent pas l’impact de la réforme. Est-ce votre avis?
C’est exagéré de dire que les populations ne perçoivent pas l’impact des réformes. Elles ne sont peut-être pas encore satisfaites car certains de leurs problèmes demeurent! Et c’est normal. Le citoyen que je suis en attend aussi plus mais j’ai désormais grand espoir car j’ai la faiblesse de croire que nous sommes désormais dans un environnement local favorable à plus d’efficience ! Un impact direct, c’est qu’on ne voit plus les maires et autres élus gaspiller comme par le passé des ressources dans les activités de propagande. J’ai appris que pour les dernières législatives pas moins de 50 de nos maires ont nourri des ambitions de députation. Peut-être que le poste de maire n’est plus aussi juteux! (Rires). Et les maires élus députés ont préféré siéger au parlement !
Malgré l’avènement de cette réforme, certaines Communes peinent à amorcer leur décollage. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette stagnation selon vous ?
Malheureusement les Communes n’ont ni la même ressource financière ni la même qualité de ressource humaine. Le management n’est pas le même. Il y a des maires peu compétents qui sont déjà assez satisfaits de rouler une grosse voiture et de se taper 2 à 3 millions le mois. Le reste, le Se et les administratifs peuvent désormais se débrouiller. Ils se disent qu’ils n’ont plus une obligation de résultats et c’est vraiment dommage. Il nous faut plus de patriotisme à tous les niveaux pour construire notre pays. On doit évaluer les managers des Communes qui refusent de bouger malgré les opportunités et les dégager sans état d’âme car nos populations ont des problèmes urgents qui méritent dynamisme, créativité, sacrifices et engagement ! De nombreux agents ne servent plus à rien dans nos Communes. Ils sont fatigués et démotivés surtout quand les occasions de voler sont rares. Beaucoup n’ont plus la compétence pour servir et aurait dû bénéficier d’un plan de formation pour renforcer leurs capacités opérationnelles mais hélas! Je ne comprends pas aussi pourquoi les agents des collectivités locales ne devraient pas être motivés au même titre que les Ape. Ça peut plomber les résultats !
Sur quels leviers pourrait-on agir pour parfaire cette réforme ?
On est sur la bonne voie. Continuons par fixer des objectifs clairs aux Se et aux maires en ce qui concernent la mobilisation des ressources financières, le taux de réalisation des Pdc sous peine de sanctions administratives et politiques. Travaillons à renforcer la confiance des populations pour que les taxes et impôts soient libérés avec la fierté de participer au développement. Les populations demandent juste à voir du concret, de la justice et de l’équité pour accompagner les réformes. L’incivisme ne peut non plus être toléré à cause des ambitions politiques. Si les cahiers de charges sont clairs pour les managers locaux bien formés, il faut garantir la régularité des contrôles sinon c’est peine perdue! C’est pourquoi en 2011 j’insistais déjà et j’insiste toujours sur la création d’une Inspection Générale des Collectivités Locales ( Igcl) pour s’occuper uniquement et à plein temps des communes.
Un mot pour conclure
La décentralisation au Bénin est sur le bon chemin. Il y a eu un indispensable recentrage face à la légalisation de l’instinct de prédation au niveau local. Le rêve est permis si et seulement si ce qui sous-tend la nouvelle réforme reste et demeure l’intérêt général de nos populations. Tout autre agenda conduirait inévitable à un échec ; ce que ne veut en rien le gouvernement de la rupture.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi