Enseignant de carrière et très attaché aux questions d’histoire et d’unité nationale, le professeur Léon Bio Bigou n’est moins connu dans le milieu politique; Il a notamment à son actif, deux législatures. Son expérience dans l’écurie parlementaire entre 1998 et 2007 et son passage au poste de premier vice-président de l’institution sous la quatrième mandature en font un fin connaisseur du sérail. C’est fort de cette riche expérience qu’il peint le bilan des différentes Législatures depuis le renouveau démocratique et met en exergue les goulots d’étranglement qui plombent l’efficacité de l’institution parlementaire au Bénin. Lire ses propos.
Le Matinal: Professeur Léon Bio Bigou, quel bilan pouvez-vous faire des Parlements qui se sont succédé depuis le renouveau démocratique au Bénin?
Léon Bio Bigou: Par rapport à mon expérience, j’ai senti pour compter de la quatrième ou de la cinquième mandature parlementaire de l’ère du renouveau démocratique, qu’il y a un certain nombre de comportements allant dans le sens de ce qui n’est pas fondamentalement le rôle du député. L’on a généralement tendance à croire que le député peut tout faire et parfois même par rapport le candidat à la fonction, s’engouffre dans cette brèche en faisant un certain nombre de promesses. Il s’agit en réalité de promesses qui ne relèvent pas de leur compétence. Cela fait qu’au niveau de l’électorat, on note un changement de comportement à l’égard des députés. Du coup, l’on prend au mot lé député qui donne à travers ses promesses, l’impression d’être en mesure de tout faire alors qu’en réalité il y a des attributs qui relèvent du gouvernement et d’autres qui relèvent de la compétence du député. Au lieu de s’en tenir à cela, ils en arrivent à dire des choses dont ils ne sont pas capables. Du coup, on constate de plus en plus une introduction de l’argent dans le processus d’élection du député. L’argent devient le centre de tout. Alors qu’en réalité, le rôle du député est bien clair et si l’électorat l’amène à dire autre que ce qu’il est capable de faire, cela veut dire qu’en réalité, il se fait complice d’une certaine déviance. C’est ça que je déplore. Aujourd’hui, pour aller aux élections, il vous faut beaucoup d’argent. Du coup on remarque que lors des élections, on déploie d’énormes moyens. Pour la période dont j’ai l’expérience, je pus vous dire que personnellement je n’ai jamais été élu sur la base de l’argent. Par contre, ce que je peux dire, pour ce qui concerne les problèmes des populations, le député doit pouvoir en être sensible et les connaître réellement. La solution à ces problèmes ne relève pas du député mais c’est le député qui doit pouvoir sur la base des analyses, des observations qu’il en fait, prendre des textes qu’il faut qui puisse permettre au gouvernement de faire face à ces problèmes. C’est le gouvernement qui doit pouvoir régler les problèmes des populations mais le gouvernement ne pourra pas le faire si ce n’est pas sur la base des textes. Or ces textes relèvent de la compétence du député. Lorsque les textes sont pris et les lois votées, cela permet au gouvernement de jouer sa partition. S’il ne le fait pas, on pourra situer les responsabilités. Il y a des citoyens qui ont peut-être les moyens pour aider les populations à faire face aux problèmes mais c’est ça, c’est un cas à part. La nuance, c’est de faire croire que c’est le député qui peut tout faire. Il faudra clarifier le rôle du député. Le député contribue au vote des lois mais il faut aussi contribuer à leur vulgarisation. En me fondant sur ma petite expérience, je peux dire que le Bénin ne souffre pas des problèmes de texte mais la faiblesse du pays réside dans l’application des textes, des lois. Et c’est ce que j’ai défendu quand j’étais parlementaire. Il faudrait que les députés, au lieu de se limiter seulement à prendre des textes et des lois, s’impliquent aussi dans la vulgarisation de ces lois surtout celles qui sont fondamentales. C’est à ce niveau que j’ai relevé des insuffisances au niveau des parlements qui se sont succédé depuis le renouveau démocratique. Nous avons de très beaux textes de lois mais leur application pose problème. Nous avions, en son temps pris une initiative dénommée «Le député sur le chemin du village » en notre qualité de président du Réseau des parlementaires pour la population et le développement. Elle consiste à parcourir les localités pour expliquer les lois aux populations. Malheureusement, ce paramètre est mis de côté au profit de l’argent.
L’Assemblée nationale qui est par essence une institution de contre-pouvoir tend à devenir de plus en plus un instrument aux mains du pouvoir exécutif. Cela favorise-t-il un véritable équilibre des pouvoirs politiques, professeur Léon Bio Bigou ?
C’est un fait que j’ai eu à déplorer même s’il n’est pas général. Personnellement, j’ai eu la chance d’être député de la mouvance et plus tard de l’opposition. Je pus dire que l’une des causes de cette réalité est l’argent. C’est en cela que certains députés essuient des critiques de la part de leurs mandants et je pense qu’ils ne devraient pas rester sourds à ces critiques. C’est par rapport à tout ce qu’il y a eu comme problème autour de cette question qu’il a eu le débat sur le financement public des partis politiques. Personnellement, j’ai applaudi le vote de cette loi qui va contribuer à régler certaines déviances et soulager les partis politiques. Cependant, la loi a été votée mais c’est au niveau de son application qu’il y a problème. L’idée est bonne mais il y a encore quelque chose à corriger dans l’application. Tous les partis politiques sur la base des textes pris, qui ont été autorisés conformément à la loi, devraient bénéficier du financement. Il doit avoir de mon point de vue, un traitement égalitaire de tous les partis politiques par rapport au financement public pour autant que le parti remplisse les critères pour exister en tant que parti politique. La différence serait au niveau des élections, sur la base des résultats que les partis auront engrangés aux élections. C’est sur ces résultats qu’il faudra se baser pour opérer la différence de traitement au niveau du financement public des partis politiques.
Professeur Léon Bio Bigou, comment appréciez-vous l’entrée massive des femmes au Parlement ? Cela va-t-il changer quelque chose selon vous?
Ce n’est pas une innovation puisque l’idée de promouvoir la gent féminine a germé depuis les Législatures précédentes. Nous avons toujours déploré le faible taux de représentativité des femmes au Parlement. C’est heureux que cela advienne maintenant.
Quelles sont vos attentes pour la prochaine Législature, Professeur Léon Bio Bigou ?
Je tiens déjà à féliciter les nouveaux députés qui ont pu avoir la confiance des populations. Je souhaite que cette Législature puisse prendre conscience des insuffisances constatées jusque-là pour que vivement nous revenions au rôle réel du député. Que le député puisse prendre conscience de sa mission. Qu’il sache que c’est sur la base des problèmes que vivent les populations qu’il pourra prendre conscience de certaines lois et œuvrer pour l’abrogation des lois qui sont sources de problèmes pour les populations à tous les niveaux : économique, social, culturel et autres. Je souhaite que les députés de la mouvance et de l’opposition jouent pleinement leurs rôles. Qu’ils puissent apporter quelque chose au pays par rapport à leur vision, par rapport à leur rêve. Qu’ils apportent leurs contributions en termes de réflexions, en termes d’idées, pour que le Bénin de demain soit meilleur à celui d’aujourd’hui.
Votre mot de fin
Les députés qui seront installés le 12 février prochain ont une lourde responsabilité. Ils doivent pouvoir par leurs attributions œuvrer dans le sens de la consolidation de l’unité nationale dans notre pays. Ils doivent œuvrer pour le développement objectif et durable de notre pays et dans le sens de prendre des initiatives pour améliorer certains textes de lois ou pour envisager de nouvelles loi. Ils doivent faire en sorte que chaque Béninois, pris individuellement, puisse se considérer comme maillon d’une grande chaine qui est le Bénin. Que les députés puissent jouer convenablement le rôle que leur confère la Constitution pour que nous puissions individuellement et collectivement, contribuer à opérationnaliser notre rêve commun consigné dans notre devise : fraternité-justice-travail. En tant que représentants du peuple béninois, les députés ont cette lourde responsabilité de faire en sorte que ces trois vertus transparaissent dans leur comportement. Ils doivent transcender les clivages partisans et les problèmes de personnes. Je souhaite beaucoup de courage aux nouveaux élus du peuple, de l’objectivité dans leurs analyses afin que notre Bénin soit celui dont nous rêvons tous à travers notre devise.
Propos recueillis par Gabin Goubiyi